Ces enfants différents
Trois mots et vous savez sans doute de quoi j'ai envie de parler. Vous avez une idée nette et précise. Pourtant, je n'aime pas ces mots ensemble, ce n'est pas la façon dont j'ai envie de le dire mais je ne trouve pas mieux, en si peu de mots, pour que ce soit claire. Ce n'est pas ce que je veux dire parce que ce n'est pas la réalité. La réalité, c'est que tous les enfants sont uniques et chacun a ses propres défis à relever et ses propres peurs à affronter. Parfois petits, parfois gros comme des montagnes. Parfois c'est rapide, parfois c'est pour la vie mais ils sont tous différents les uns des autres.
Cette idée de différence et de séparer les enfants en 2 groupes bien distincts, on se rend compte que nos enfants ne l'ont pas. Du moins, pas de la même façon que nous l'avions au même âge. La raison est fort simple : dès la maternelle, nous étions séparés de ces enfants différents. De ceux qui l'étaient trop pour arriver à fonctionner de façon autonome dans un cadre bien précis. Ils avaient leur coin dans l'école, un bout de la cours de récréation, une table dans la salle à dîner. Ils passaient la journée de leur côté et nous du nôtre. Même si on nous disait qu'il fallait les accepter, on ne nous en donnait pas l'occasion : nous n'avions à peu près pas de contact. Il y avait le "eux" et le "nous". Malheureusement, ça n'a pas tellement changé au Québec.
Mes enfants ont toutefois la chance de côtoyer ces enfants au quotidien depuis la maternelle. Ils partagent la même classe, ils ont le même professeur, ils font les mêmes activités, ils jouent ensemble à la récréation. La seule différence perceptible c'est que ces enfants ont un adulte qui les suit en permanence pour les aider à faire les tâches plus difficiles, à gérer leurs émotions ou pour adapter les activités afin qu'ils vivent les mêmes réussites et les mêmes victoires. Quand mes enfants regardent leurs camarades de classe, il y a une petite fille timide, une autre qui parle tout le temps, un garçon aux cheveux roux, un garçon à lunettes, un autre qui joue au hockey, un enfant qui a besoin d'aller se calmer dans le corridor de temps en temps, un garçon qui ne peut pas parler ou marcher et eux-mêmes qui sont francophones dans un monde anglophone! Ils sont tous différents les uns des autres, sans échelle de gravité… sauf les jumeaux qui sont pareils! (Ça, c'est l'ajout de ma fille!)
Si certains enfants vont nécessairement se lier d'amitié avec des têtes fortes ou encore avec les plus populaires de l'école, mes enfants, du moins les 3 plus grands, sont portés à aller vers les enfants qui ont des besoins particuliers et à se lier d'amitié avec eux. Entre autre, ma fille était triste, à la fin de la maternelle, quand elle a su que son ami Ethan allait déménager. Ethan ne parlait pas beaucoup mais il était toujours content de voir ma fille et c'était réciproque. Mȩme après 2 ans, elle me dit s'ennuyer de lui mettre ses souliers et de le faire rire en le chatouillant. Ethan est trisomique, mais pour ma fille, ce mot ne veut rien dire. Il est simplement unique comme chacun de ses amis. Mon aîné mange avec un ami chaque fois que l'intervenante le lui demande. Son ami a besoin d'une marchette pour se déplacer. Il ne parle pas, il communique avec des pictogrammes et il a demandé d'ajouter la photo de mon grand sur sa tablette parce qu'il fait parti de sa vie et qu'il veut pouvoir le nommer à sa façon. Mon fils en était si fier.
Il y a quelques semaines, il a été invité à l'anniversaire de Matthew. C'était sa 3e ou 4e invitation en 3 mois, mon manque d'enthousiasme avait d'ailleurs fait naître un billet. Il ne m'avait jamais parler de lui avant. Mais il a insisté sur le fait que ça ferait vraiment plaisir à Matthew qu'il y soit et qu'il avait vraiment envie d'y aller. C'est quand mon fils a proposé des cadeaux qui convenait à un enfant de première année plutôt que de 5e que j'ai su que Matthew était différent. J'ai essayé de comprendre sa différence mais pour mon fils, ça se limitait au fait que Matthew lisait des livres plus faciles, qu'il aimait les mêmes bonhommes que ses petits frères et qu'il avait besoin d'un peu plus d'aide pour faire les mêmes choses que lui. Mon fils savait exactement ce qui lui ferait plaisir et ce qui lui ferait vivre une victoire.
Aujourd'hui, la classe de mon grand allait patiner et j'ai enfin pu faire la connaissance de Matthew. Il était assis dans les estrades avec un livre. Quand il a vu la peau d'ours que nous avions apportée pour garder nos fesses au chaud, ça l'a intrigué et il s'est approché de nous. Quand je lui ai demandé s'il voulait s'y asseoir, il a accepté avec un grand sourire et s'est installé entre mon mari et moi, regardant le petit dernier se promener. Quand je lui ai demandé de trouver l'enfant qui patinait le mieux, il a tout de suite nommer mon grand en le pointant. Celui-ci prenait le temps de le saluer, comme plusieurs autres enfants sur la glace d'ailleurs, en passant devant nous. On a jasé, on a joué à "devine ce que je vois". Quand Matthew est retourné plus loin pour lire son livre, mon grand a pris une pause et est allé le rejoindre pour lui demander ce qu'il lisait, il a jasé avec lui quelques minutes. Quand Matthew s'est levé, mon grand a gardé un œil sur lui pour ne pas qu'il se blesse en grimpant sur la rambarde. Pour lui, Matthew n'est pas trisomique, il a seulement des goûts différents et des défis particuliers... comme chacun des autres enfants qui composent sa classe, comme lui.
Aujourd'hui, quand j'ai vu mon grand grogner et faire semblant d'attraper son ami parce qu'il lui avait demandé de jouer au monstre (alors que ce n'est plus de son âge depuis longtemps) mon coeur s'est gonflé de fierté. Ces enfants différents apportent tellement à mes enfants et j'ose espérer que c'est réciproque.