Te souviens-tu de l'hiver 2013-2014?

J'ai toujours cru que les baby-boomers avaient de la difficulté à vivre dans le moment présent.  Qu'ils s'attachaient au passé en racontant encore et encore des anecdotes complètement dépourvues d'intérêt pour les gens qui ne les avaient pas vécues (moi!) surtout quand celles-ci concernaient la météo.  Alors que ça nous ennuie et qu'on ne sait trop quoi répondre quand les autres le font, nous avons tous cette vilaine habitude de diriger la conversation vers le temps qu'il fait quand on est à court de sujet de discussion.  Si celle du jour ne nous est d'aucun intérêt, pourquoi les baby-boomers avaient-ils tous cette manie de raconter celle d'il y a 10, 20 ou 30 ans?  

Je me souviens encore des soirées où mon oncle et ma tante venaient à la maison uniquement pour le plaisir de prendre une bière et jaser de tout et de rien et que ma tante rappelait à tous combien il avait fait chaud en février 1981 alors que la température avait grimpé au-dessus de zéro pendant 8 jours consécutifs ou encore mon père de raconter à quel point il avait plu l'été de 1995 alors qu'il construisait la maison d'un tel (parce que dans ma famille, on ne connaît pas ça un entrepreneur, chacun construit sa maison avec l'aide du reste de la famille!). Je me suis toujours demandé comment ils pouvaient se souvenir de façon aussi précise de toutes ces dates, moi qui dois calculer chaque fois en quelle année j'ai rencontré l'homme de ma vie ou énumérer toutes les dates de naissance de mes enfants pour n'en nommer qu'une seule. 

Et bien voilà, j'ai compris : un jour, dame nature nous prend par surprise et s'acharne au point où on angoisse de ne pas savoir de quoi demain sera fait  (du point de vue météorologique évidemment).  Nous sommes marqués pour le reste de nos jours, impossible d'effacer la date de notre mémoire interne.  Nous en sommes impregnés.  Dès que quelque chose, aussi banal soit-il, nous rappelle cette date fatidique, les frissons s'installent et c'est plus fort que nous, on doit raconter l'anecdote s'y rattachant.  Bien malgré moi, semble-t-il que c'est aujourd'hui que débute mon carnet de radotage ayant pour sujet la météo.  Le premier événement à s'y retrouver et que je raconterai jusqu'à ma mort : l'hiver 2013-2014. 

Je raconterai à quel point l'hiver était arrivé tôt (dès la fin novembre) et en force (bien installé à la mi-décembre) cette année-là.  Je raconterai à quel point ça avait changé le cours de nos traditions de Noël : tempête de verglas le 23 décembre, il faisait tellement froid le 24 au matin que nous avions déménagé nos pénates chez ma soeur pour s'y réchauffer et manger de la raclette avec sa famille.  Nous avions pu regagner notre maison chaude en soirée mais les enfants n'avaient pas voulu placer les biscuits du Père Noël sur la table, trop épuisés par notre aventure.  Je raconterai que nous avions passé le reste du temps des fêtes sur le qui-vive avec des chaudières d'eau dans la baignoire pour pouvoir tirer la chasse de la toilette (vive la vie à la campagne qui vient avec un puit qui fonctionne à l'électricité!) et une rallonge immense prête à être branchée sur la génératrice des voisins pour bénéficier d'un peu de chaleur.  Je raconterai combien l'hiver avait été long, les tempêtes s'étaient succédé les unes après les autres, à raison d'une à deux par semaine du Jour de l'An jusqu'à Pâques.   Je rappellerai tellement souvent à mon plus vieux qu'il avait manqué une douzaine de jours d'école à cause des conditions routières qu'il pourra lui-même le raconter à ses enfants même s'il n'aura probablement aucun souvenir autre que les miens.   Je raconterai que le 30 mars, alors que nous attendions tous les premiers bourgeons, la météo s'était déchaînée en changeant le 30cm de neige prévue en verglas qui n'a cessé que le lendemain.  Je radoterai mon histoire encore et encore en espérant qu'aucun autre hiver ne viendra détrôner celui-ci au risque d'une dépression saisonnière sévère!